En mars 2015, l’assemblée nationale a interdit, à partir de 2016, l’usage des néonicotinoïdes (gaucho, régent, cruiser), insecticides utilisés pour la protection des cultures contre les insectes. Cette mesure suffira-t-elle à enrayer la diminution des abeilles ? Pas si sûr ! La diminution des abeilles est une réalité depuis vingt ans (1995). Quand une espèce diminue, à terme sa disparition est programmée. Pour les abeilles, non seulement il y aurait une espèce en moins et on serait privé de miel, mais en plus ce serait une véritable catastrophe du fait de leur rôle de pollinisateur indispensable pour la reproduction des végétaux (cultures, légumes, fruits, fleurs, plantes sauvages …). Sur le constat et la gravité de la situation, tout le monde est d’accord. Par contre, il y a débat sur les causes. Après avoir présenté le panorama de l’apiculture française et bretonne, nous apportons le point de vue d’un apiculteur professionnel du Pays de Brest, Mr Joseph Le Ru de Plouarzel et la vision du CNRS à travers deux films.
Les difficultés actuelles de l’apiculture française
Le schéma ci-dessus (source UNAF : Union Nationale de l'Apiculture Française) traduit la réalité des difficultés actuelles de l’apiculture française
La consommation annuelle de miel en France est estimée à 40 000 tonnes. La production nationale a diminué depuis 1995 en passant de 32 000 tonnes à 10 000 tonnes aujourd’hui. De ce fait les importations augmentent de manière conséquente de 6 000 tonnes à 32 000 tonnes. Ceci est relativement grave, car une partie du miel importé vient de Chine et on peut légitimement suspecter sa qualité (coupé avec du sucre ou dopé aux antibiotiques et stimulateurs de croissance). Le nombre de ruches a baissé, mais de manière moins conséquente (de 1 350 000 à 1 250 000). Cela démontre bien le problème actuel de diminution des abeilles et de la production de miel. Le nombre d’apiculteurs diminue aussi (de 85 000 à 70 000). Il reste malgré tout à un niveau relativement élevé, parce qu’une majorité d’entre eux exerce cette activité par passion et aussi parce que le prix du miel a explosé (1 franc/kg en 1995, 5,5 €/kg aujourd’hui).
Un autre problème existe : le manque de structuration de l’apiculture française. Pour le moment, il n’y a pas d’interprofession (comme cela existe pour toutes les productions agricoles depuis plusieurs décennies) et on compte pas moins de sept syndicats pour représenter les apiculteurs, avec des différences d’analyse et de revendications. Il est vrai que l’approche « apiculture-loisir » est très différente de l’approche « apiculture-métier ». Malgré tout, quelques avancées ont eu lieu ces dernières années avec, en 2009, la création de l’ITSAP (Institut Technique et Scientifique de l’Apiculture et de la Pollinisation), organisme chargé de coordonner la recherche et de rassembler les données économiques et sanitaires fiables.
Juin 2015
Diminution des abeilles : L’interdiction des insecticides suffira-t-il ?
« Je me suis toujours opposé aux tenants de la thèse que la diminution des abeilles était due uniquement aux pesticides. Ce serait trop simple et c’est mal connaitre la production. Il y a beaucoup de raisons à la diminution des abeilles, les voici :
- Le niveau de formation des apiculteurs. Il faut reconnaitre qu’il est faible. Beaucoup se lancent dans l’apiculture sans formation, surtout dans le contexte actuel de prix élevé. Il y a très peu de centres de formation spécialisés dont un à Vesoul qui prépare un « brevet professionnel apiculture ». Le Finistère dispose d’un rucher-école au lycée agricole du Nivot à Lopérec qui est géré par une équipe de bénévoles du GDSA dispensant des stages courts par thématique (initiation, les maladies des abeilles …). Pour ces formations, il y a actuellement une liste d’attente. Une chose est sûre : on va au devant de désillusion et de déboires, si on se lance dans l’apiculture sans formation !
- Le varroa. C’est un acarien venu du Sud Est Asiatique au début des années 80. Aujourd’hui il se trouve partout en Europe. Il se fixe sur les abeilles, il suce l'hémolymphe (le sang) et se multiplie dans les cellules des mâles. Le varroa affaiblit beaucoup les abeilles et de ce fait, elles deviennent vulnérables pour les maladies à virus qui peuvent, elles, être mortelles. Les deux principales matières actives utilisées contre le varroa sont l’amitraze (nom commercial : Apivar) et le tau-fluvalinate (nom commercial : Apistan) pour lesquelles des autorisations de mise sur le marché existent pour les abeilles. Dans le Finistère le GDSA préconise le traitement à l’apistan pour 2015, après avoir préconisé l’apivar pendant quelques années, de manière à éviter le phénomène de résistance à une matière active. 70 % des apiculteurs finistériens appliquent le moyen de lutte préconisé par le GDSA 29. D’autres font le choix de ne pas traiter et de miser sur une résistance naturelle à la maladie. Avec cette méthode, il est difficile d’obtenir des résultats dans la durée.
- La loque américaine. C’est une maladie due à une bactérie sporulante reconnue comme contagieuse. Les bactéries se logent dans le couvain (là où se trouvent les larves) et provoquent le pourrissement des larves. Le seul moyen efficace est de brûler le contenu de la ruche et de désinfecter la ruche au chalumeau. Ce qui est important, c’est de diagnostiquer la maladie rapidement et d’intervenir aussitôt, car une ruche loqueuse dans un secteur contamine toutes les autres.
- La nosémose. C’est une maladie des abeilles adultes qui affecte le tube digestif et provoque des diarrhées aiguës pouvant aller jusqu’à la mort de l’abeille. Elle peut causer la perte de la colonie si de nombreuses ouvrières sont touchées.
- La prophylaxie générale en apiculture. Comme on peut le constater, l’abeille est sensible à plusieurs maladies qui ont chacune leurs spécificités. Il est déterminant que l’apiculteur observe bien ses abeilles, soit capable de poser rapidement un diagnostic et d’agir en conséquence. Cela demande une technicité assez pointue. Par ailleurs, il faut dire que pour le moment il n’y a pas de plan général de prophylaxie contre les maladies des abeilles à la hauteur des enjeux. Pour moi qui étais producteur de lait, je mesure l’écart important avec ce qui a été fait dans les quarante dernières années pour éradiquer les maladies de l’élevage bovin (tuberculose, brucellose, fièvre aphteuse, IBR…).
- Le climat. L’abeille est très sensible à la température et au vent. Ainsi, cette année, les ruches ont bien fonctionné au mois d’avril (température élevée, pas de vent) et mal fonctionné au mois de mai (froid et vent persistant). Comme pour toute production agricole, le climat influence fortement le peuplement des ruches et donc la production de miel.
- L’emplacement des ruchers. Il faut savoir choisir l’emplacement de ses ruchers. C’est bien sûr la première qualité que doit avoir un apiculteur, car l’alimentation des abeilles en dépend. Comme pour tout élevage, c’est le poste-clé de réussite. On ne peut avoir des abeilles en bonne santé que si elles sont bien nourries ! Mais ce n’est pas si simple, comme une abeille couvre un territoire de 2 700 ha, il peut y avoir concentration trop forte de ruches dans un secteur donné, sans que l’on s’en rende compte. Par ailleurs, toutes les méthodes d’entretien des talus et des bords de routes ont leur importance. Ainsi si nous voulons préserver les différents insectes pollinisateurs (+ de 1000 espèces différentes) il est primordial d’attendre septembre pour effectuer l’élagage des talus. Les élus commencent à comprendre et à adopter les bonnes pratiques. Il faut reconnaitre que les propositions de Ségolène Royal (loi sur la reconquête de la biodiversité) vont dans le bon sens.
- Les insecticides. Je n’utilise pas le terme « pesticides » volontairement, car il y a trois catégories : les herbicides, les insecticides et les fongicides. Le premier point est que les herbicides et les fongicides ont moins d'incidence directe sur les abeilles, par contre les insecticides, oui. C’est logique ils sont utilisés pour protéger les cultures contre les insectes nuisibles, mais ils sont efficaces sur tous les insectes : les bons et les mauvais ! Les néonicotinoïdes seront interdits d’utilisation à partir de 2016. Attendons de voir les résultats mais personnellement je pronostique que cela ne changera pas le problème de fond de la diminution des abeilles. D'autre part, je tiens à dire que je suis impressionné de voir les changements de pratiques de pulvérisation des produits phytosanitaires chez mon fils, qui a pris ma succession. Chez lui, comme pour la grande majorité des agriculteurs, on a diminué considérablement les doses et on n’intervient que lorsque les conditions de météo sont idéales (bien souvent tôt le matin, humidité de l’air plus forte, absence de vent…) avec du matériel de plus en plus précis en localisant par exemple le rang de la culture à traiter et non plus en traitement généralisé sur toute la parcelle.. Les préconisations des vendeurs de produits phytos pour l’agriculture rappellent les précautions à prendre vis-à-vis des abeilles. Quel chemin parcouru en une vingtaine d’année !
- L’arrivée récente du frelon asiatique. Le frelon asiatique est arrivé en France en 2004. Il se propage sur tout le territoire. Il est arrivé en Bretagne et même chez nous dans le Pays de Brest. Il tue les abeilles. Le seul moyen est de piéger les reines fondatrices en février et de détruire les nids de frelon. Toute personne qui découvre un nid de frelon asiatique a désormais le devoir de faire une déclaration en mairie
Comme on peut le constater, cela fait beaucoup de points à maîtriser en même temps. La diminution des abeilles est une réalité. Mais évitons les schémas simplistes, il y a vraiment beaucoup de raisons ! »
La vision du CNRS à travers deux films
L’apiculture bretonne dans la même situation qu’au niveau national
Les phénomènes constatés au niveau national (diminution des abeilles, difficulté de la filière à s’organiser …) s’observent aussi au niveau de la Bretagne. Depuis quelques années, comme ailleurs en France, un mouvement pour mieux organiser la filière s’amorce. Ainsi une nouvelle organisation des apiculteurs vient de se mettre en place au niveau départemental et régional.
- Dans chaque département, chaque GDS (Groupement de Défense Sanitaire), organisation existant pour les différentes catégories d’élevage (bovin, ….) a créé une section apicole qui a pour mission de recueillir les déclarations de ruches qui sont désormais obligatoires. Selon le président du GDSA 29, Yves Layec de Milizac, on peut estimer le nombre d’apiculteurs à 1400/1500 dans le Finistère. C’est un nombre difficile à évaluer, car tous ne déclarent pas leur ruches (alors que c’est obligatoire) et en plus les déclarations arrivent dans deux structures : le GDSA (autour de 800) et vers la DDTM (le reste). Actuellement, le dispositif est tel que l’on ne peut pas connaitre le nombre de ruches et la production de miel au niveau départemental. Par ailleurs, « l’abeille finistérienne » seul syndicat apicole du département affilié à l’UNAF fait un suivi des ruches, grâce à des pesées quotidiennes (d'une ruche) sur trois points du département : Commana, Quimperlé, Lanrivoaré. Les résultats des pesées sont accessibles sur leur site internet : http://www.abeille-finisterienne.fr/ . Pour les apiculteurs finistériens, c’est un bon outil de référence de proximité.
- Au niveau régional, le GIE Elevage - ADA Bretagne (Association de Développement Apicole) s’est mise en place avec un animateur dont les missions ont été définies en cohérence avec le plan de développement durable de l’apiculture : accompagnement des projets apicoles, mise en œuvre des programmes expérimentaux (en lien avec l’ITSAP) …
Joseph Le Ru (Plouarzel) s’est lancé dans l’apiculture en 1991. A l’époque, c’était une deuxième activité sur l’exploitation agricole spécialisée dans la production laitière. Aujourd’hui. Il a 120 ruches réparties principalement sur le Pays de l’Iroise. « La première qualité que doit avoir un apiculteur, c’est l’observation de la nature, car il faut bien placer le rucher (une dizaine de ruches). Pour choisir le lieu, on doit tenir compte des fleurs de la flore située à proximité. En plus il ne faut jamais oublier qu’une abeille couvre un territoire de 3 km de rayon au minimum, soit 2 700 ha. Ainsi, les abeilles des ruches positionnées sur la toiture du Conseil Général à Quimper vont trouver dans leur rayon d’actions beaucoup d’espaces paysagers urbains riches en flore diversifiée, mais vont aussi dans la campagne avoisinante ».
Plusieurs facteurs expliquent la diminution des abeilles
l'apiculture ne peut pas s'improviser
le varroa, la principale maladie
la surveillance des maladies, une nécessité
le rucher placé au milieu d'une flore riche et diversifiée
L'entretien des bords de route réalisé en septembre
Certains insecticdes sont très nocifs pour les abeilles
Le frelon asiatique : le dernier arrivé
Point de vue d’un apiculteur du Pays de Brest